Les choses se passent mal dans le monde du jeu vidéo depuis 2023, ce n’est pas nouveau. Le studio ZA/UM à qui on doit le fameux Disco Elysium est à son tour victime de la crise. Mais il rencontre également de graves problèmes d’une toute autre nature.

Disco Elysium a été un franc succès, tant commercial que critique. Et si vous y avez joué et adoré, sans doute que vous espérez en avoir un peu plus sous peu. Vous pouvez malheureusement vous asseoir sur cette perspective. En effet une grosse extension était bien prévue, sobrement intitulée X7 (probable nom de code). Selon VideoGames.Si, celle-ci est désormais à la poubelle. Pire : une suite au jeu ainsi qu’une nouvelle franchise sont passées à la trappe. Le studio traverse en effet une très grave crise. En premier lieu, le PDG Ilmar Kompus s’est délesté de 24 employés soit 25% des effectifs du studio. Jusque là, on difficile d’être surpris par ce genre d’annonce ce qui est d’autant plus triste. 16 000 employés de différents studios ont connu le même sort depuis janvier.

Hélas, cette nouvelle n’est pas la seule à figurer sur le tableau noir du studio. Des déclarations d’ex-employés comme les scénaristes Argo Tuulik et Dora Klindžić éclairent sur la situation du studio. Ils dénoncent ainsi des conditions de travail absolument déplorables ou crunch et conflits dansent le tango :

Les deux derniers mois passés sur l’extension annulée de Disco Elysium ont été remplis de crunch, de burnout et de conflits.

Une atmosphère hélas trop bien connue et que ZA/UM n’est pas le seul à avoir pratiqué. Hélas la liste ne s’arrête pas là. D’abord les RH auraient utilisé un système de notation de performances des employés pour déterminer qui allait prendre la porte. On apprend que les salariés licenciés sont justement ceux et celles ayant dénoncé leurs conditions. Et comme un problème ne vient jamais seul, Argo Tuulik mentionne également un sexisme omniprésent au sein du studio où rabaissement et harcèlement sont le lot quotidien des femmes.

Il faudrait être aveugle pour ne pas voir ce genre de problèmes. Dans le documentaire de PMG, Helen Hindpere, ancienne rédactrice en chef de DE : Final Cut, décrit un appel avec le directeur général Tõnis Haavel, au cours duquel Tõnis lui hurle dessus. Il hurle tellement fort qu’un collègue scénariste qui entre dans la pièce entend les cris à travers les écouteurs et lance « C’est quoi ce bordel ? » Ce rédacteur, c’était moi ».

Conséquence : certaines quittent fatalement le navire, soit de leur plein gré, soit sous la pression. La scénariste principale Dora Klindžić ne mâche pas ses mots pour décrire son entrée dans le studio en 2022 :

[C’est comme] être née en Yougoslavie dans les années 90 : vous venez de rater la fête et maintenant tout ce que vous obtenez, c’est l’effusion de sang. Les deux derniers mois de X7 ont été marqués par la crise, l’épuisement professionnel et les conflits.

Pire, le studio a la réputation d’être paranoïaque, voyant des ennemis partout qu’il s’agisse de l’équipe originale de Disco Elysium, de la presse ou même de ses employés. Lorsqu’un documentaire de People Make Games consacré à la bataille juridique sur la propriété de Disco Elysium après le départ des scénaristes sort, il jette littéralement de l’huile sur le feu comme l’explique Tuliik :

C’est comme si on passait de l’Union soviétique à la Fédération russe fasciste. On porte un mouvement culturel défunt comme si c’était un costume de peau, on prétend faire dans le communisme comme si on jouait à un jeu de rôle, on ment pour gagner des dollars et des yens. Le documentaire de PMG a changé beaucoup de choses dans le studio. En terme de dynamiques personnelles. En aucun cas pour le meilleur.

Tuulik prend la défense de ses anciens collègues et attaque avec une violence non contenue la direction du studio :

Un poisson, ça commence toujours par pourrir au niveau de la tête. Jamais par la queue ou le milieu. Ne blâmez pas le petit producteur, le cadre moyen, l’artiste principal, le community manager, etc etc… Ils ignoraient tout. On les a maintenus dans l’ignorance. Ce n’est pas de leur faute. Ce qui les a amenés ici, c’est leur amour pour disco, pas un totalitarisme dystopique. C’est leur pire cauchemar également. Non, les responsables, ce sont ceux d’en haut, les enculés en costard et noeuds pap’ qui ont baisé Harry, Kim, Robert, Rostov, Helen, Olga, Cash, Disco Elysium, vous et moi au passage. Ce ne sont pas des artistes, ce sont des baiseurs professionnels.

Il garde enfin quelques cartouches pour le producteur Tõnis Haavel :

Il est important de garder à l’esprit que Tõnis Haavel est un criminel financier condamné. Au sein de l’entreprise, il se fait appeler Denis Havel afin de rendre la recherche sur Google moins commode pour son entourage.

La Estonienne condamne en effet Tõnis Haavel en 2014 pour fraude à l’investissement. L’équipe initiale de ZA/UM, accusée de comportement abusifs envers d’autres employés et chassée du studio en 2022, pensait que Kompus et Haavel avaient fait appel à des procédures illégales pour prendre le contrôle du studio. Au final, l’affaire ne fut pas portée au tribubal. Pour autant, ces révélations salissent considérablement la réputation du studio. Dora Klindžić se fait l’écho des propos de Tuulik :

J’ai vu du bon boulot à ZA/UM. J’ai aussi vu la direction et le personnel de production terroriser les créateurs, mentir, jouer à des jeux de pouvoir, monter les gens les uns contre les autres, détruire les relations et l’estime de soi. Il n’y a eu aucune répercussion pour ça.

Sans compter que ces licenciements, au delà de leur vie professionnelle, menacent la vie personnelle des ex-salariés :

Voilà la récompense de notre dur labeur. Certains d’entre nous vont peut-être même perdre leur statut d’immigrant au Royaume-Uni et être contraints d’évacuer le pays. Nous aurons quitté les lieux la semaine prochaine, mais ceux qui restent sont prisonniers d’un lieu ayant irrévocablement changé.

Pour Tuulik plus rien ne sera jamais comme avant :

Le masque est tombé sur le visage du capital. Ce qui reste de ZA/UM, c’est une entreprise froide et insouciante où les directeurs font la guerre à leurs propres agents créatifs, où l’art passe après la propriété, et où la stratégie de l’entreprise se fonde sur un mépris arrogant pour son propre public.

Ce n’est pas la première fois que des conditions de travail désastreuses sont recensées au sein d’un studio. On se souvient des graves polémiques ayant frappé Quantic Dreams, Ubisoft, Ankama, Blizzard Entertainment et tout récemment DON’T NOD. ZA/UM rejoint donc la triste liste des studios de développement toxiques. Et au vu des propos tenus, ce n’est pas demain que le studio va virer ses fesses de la poudrière sur laquelle il trône.