
Le directeur de la franchise Assassin’s Creed, Marc-Alexis Côté revient sur Assassin’s Creed Shadows et notamment sur l’épineuse question de la diversité au sein du jeu !
Les BAFTA Awards ont été l’occasion pour Marc-Alexis Côté de se livrer à un instant confession. Comme on le sait, UbiSoft traverse une sacrée tempête en ce moment. Et la saga Assassin’s Creed n’est pas épargnée par le coup de tabac qui frappe le studio. Preuve en est, le report du futur épisode, Assassin’s Creed Shadows. On se souvient que celui-ci a fait l’objet d’une volée de bois vert phénoménale de la part de la sphère gaming. La faute : son protagoniste africain Yasuké. Le Japon médiéval est le cadre de ce futur épisode et pour beaucoup de joueurs, UbiSoft aurait donc dû faire figurer un personnage d’origine japonaise. L’inclusion de Yasuke est donc pour ses détracteurs une nouvelle preuve d’un « wokisme » qui gangnène jeu vidéo. Plusieurs joueurs japonais condamnent également ce choix…
Tant et si bien qu’UbiSoft a promis récemment de réécrire entièrement le personnage. Les critiques ne s’arrêtent pas qu’à Yasuke. Naoe, l’autre protagoniste du jeu, une ninja elle bien japonaise, s’attire également les foudres de certains joueurs. La raison : c’est une femme. L’épisode subit depuis une vague d’attaques à caractère racistes et sexistes, venant essentiellement de joueurs aux idées particulièrement arrêtées sur les questions de race et de genre.
Fatalement comme on le sait, les vagues d’attaques sur UbiSoft se multiplient à la lueur de ces choix créatifs. Si certaines sont constructives, d’autres relèvent de l’acharnement pur et dur et d’une croisade « anti-wokisme » extrêmement violente. Leur impact est, selon Côté, dévastateur sur les équipes de développement :
Parallèlement aux valeurs profondément ancrées dans la franchise, nous nous engageons à reconnaître et à écouter les critiques légitimes comme un élément essentiel du processus créatif. Notre communauté nous aide à grandir, à évoluer et à proposer de meilleurs jeux. Aujourd’hui, nous sommes tous confrontés au défi supplémentaire de faire la distinction entre les commentaires authentiques et les attaques motivées par l’intolérance. […] Le climat actuel est difficile pour nos équipes créatives. Elles sont confrontées à des mensonges, des demi-vérités et des attaques personnelles en ligne. Lorsque le travail dans lequel ils ont mis tout leur cœur est transformé en symbole de division, ce n’est pas seulement décourageant, cela peut être dévastateur. Ce qui me fait avancer, c’est la résilience née de la conviction que je vois chaque jour dans nos équipes. Je suis particulièrement fier de l’équipe de Shadows qui est restée fidèle à sa vision créative et aux principes fondamentaux d’Assassin’s Creed.
Marc-Alexis Côté rappelle à toutes fins utiles qu’Assassin’s Creed se fonde depuis toujours sur la diversité. Ainsi le tout premier personnage du jeu, Altaïr Ibn-La’Ahad, est d’origine syrienne. Rappelons également d’autres personnages comme Aveline de Grandpré, afro-américaine, ou de Ratonhnhaké:ton, natif américain. Le cas de Yasuké reste cependant spécial car nous parlons effectivement d’un samouraï noir dans le japon médiéval. Or pour beaucoup, une exception ne peut constituer une règle. Peut-on réellement parler de wokisme gratuit et vulgaire ici, donc ? Pas vraiment parce que Yasuké est une figure historique authentique.
Esclave africain, celui qui s’appelle apparemment François Solier et provient du Mozambique, débarque au Japon en 1579. Il y rencontre Oda Nobunaga qui le prend à son service et lui donne son nom de Yasuké. On le surnommera également Kuro-san ou Kuro-suke. Au départ, il sert à épater la population qui n’a guère l’habitude de voir un homme à la peau noire sur ses terres. Mais peu à peu, Nobunaga se prend d’affection et d’amitié pour lui et lui fait gravir les échelons. Il devient ainsi le premier samouraï noir de l’histoire. Trois ans plus tard, Akechi Mitsuhide par vengeance attaque Nobunaga qui se suicide. Le samouraï victorieux épargne Yasuké qu’il juge « indique d’être traité en japonais » et le renvoie chez les jésuites où il disparaît de l’histoire.
Trois ans d’histoire qui marquent le Japon de cette époque. Un livre pour enfant à son sujet sort même au XXème siècle : Kuro-Suke (« noir » en japonais) écrit par Kurusu Yoshio en 1968. Toutefois le cas de Yasuké reste tellement unique que sa « célébrité » reste des plus confidentielles. Son retour sous les spotslight à la lueur d’Assassin’s Creed Shadows soulève donc le souci du respect de la réalité historique. Mais peut-on parler de cela dans une saga de science-fiction comme Assassin’s Creed? Si le cadre historique reste effectivement omniprésent, celui-ci prend malgré tout énormément de libertés. Ainsi, difficile de parler de « respect de l’histoire » quand on se souvient du combat d’Ezio contre le pape Alexandre VI… Pour Marc-Alexis Côté, Assass’ins Creed est avant tout affaire de liberté créative plus que de respect scrupuleux de l’histoire :
En choisissant Naoe et Yasuke comme protagonistes, nous élargissons le paysage narratif, en offrant de nouveaux points de vue qui remettent en question les normes établies dans de nombreuses œuvres de fiction, tout en restant fidèles à l’histoire qui les a façonnées. En fin de compte, Assassin’s Creed n’est pas seulement une franchise, c’est une plateforme de divertissement, de dialogue, de découverte et de compréhension. Notre engagement ne se limite pas à une réflexion sur le passé, il s’agit de s’assurer que les histoires que nous racontons continuent d’unir, d’inspirer et de stimuler les joueurs, quel que soit leur milieu. En fin de compte, nous pensons que la diversité et la richesse de l’expérience humaine sont ce qui permet à Assassin’s Creed de trouver un écho auprès des joueurs du monde entier, et nous nous engageons à rester fidèles à ce principe.
Pour Carré, l’histoire actuel vit un « âge de la Révolution », terme de l’auteur et journaliste indien Fareed Zakaria, qui voit s’opposer sociétés progressistes et fermées. Il établit d’ailleurs un parallèle entre les thèmes propres à la saga Assassin’s Creed et les enjeux actuels de notre monde :
- Résistance à la Tyrannie (AC) -> Lutte contre la censure (Enjeux actuels)
- Préservation du savoir (AC) -> Défense de la diversité narrative (Enjeux actuels)
- Protection de l’identité (AC) -> Représentation inclusive (Enjeux actuels)
Pour Carré, ces enjeux seront au coeur de la saga Assassin’s Creed. Celle-ci entame d’ailleurs sa « troisième phase » où l’histoire sera au coeur du récit ! Elle sera aussi l’occasion d’une exploration plus poussée de thèmes actuels :
L’intrigue moderne explorera des thèmes plus profonds tels que la mémoire, l’identité et l’autonomie, la façon dont le passé façonne notre identité et comment le contrôle de ce passé peut avoir un impact sur notre avenir. Ces thèmes nous permettront de réfléchir à des questions contemporaines – la liberté contre le contrôle, le pouvoir de la connaissance et la tension entre l’individualité et la conformité – à travers le prisme de l’histoire. Je ne veux pas en révéler trop, mais nous sommes impatients de voir comment cette transformation se déroulera. Les bases de cette nouvelle orientation prendront forme avec Assassin’s Creed Shadows, qui posera les fondations de cette évolution narrative qui se développera dans les années à venir.
UbiSoft plie mais ne casse point. Et compte donc continuer à faire valoir ses choix créatifs plutôt que de céder aux pressions et harcèlements de ses détracteurs les plus acharnés. Si les intentions du studio sont louables, il reste à savoir si cela suffira à calmer ses détracteurs. La réponse viendra sans doute avec la sortie du jeu le 11 février 2025. On se doute que celle-ci fera les gorges chaudes d’Internet. La question des « haines anti-woke » reste malheureusement extrêmement présente au sein de la sphère gaming. Et bien des jeux continuent de passer au tamis de l’anti-wokisme. Et dans ce monde où la rhétorique des extrêmes explose (hélas…), il est de plus en plus difficile de trouver un terrain propice au compromis…