Cela fait 20 ans tout juste aujourd’hui que Vampire the Masquerade : Bloodlines a gagné les étals. Échec commercial à son époque, il est pourtant aujourd’hui considéré comme l’un des plus grands jeux vidéo de tous les temps. Et sans conteste le meilleur jeu de toute la franchise grâce à sa vision décadente et néo-noire de Los Angeles, l’extraordinaire qualité des dialogues et de l’histoire, sans oublier son incroyable noirceur et son humour aussi féroce que déjanté. Pourtant, accoucher du bébé fut une épreuve de tous les instants pour son développeur, Troika Games. Un éprouvant champ de bataille, parsemé de promesses généreuses, de contraintes terribles, de décisions tragiques et d’un final dramatique.  Voici l’histoire d’un des plus incroyables chemin de croix de l’histoire du jeu vidéo : celui de Vampire the Masquerade – Bloodlines et de son studio, Troika Games.

Daydream Believer : la grande famille des rêveurs :

Remontons en 1997. Les développeurs Tim Cain, Leonard Boyarsky et Jason Anderson à qui on doit la création de la série Fallout quittent Interplay et fondent un an plus tard leur propre studio de développement, Troika Games. Le but est d’être une extension de leur ancienne boîte, une sorte de retour à une époque idyllique où des studios ne comptent que quelques dizaines de personnes et non quelques centaines. Une grande famille en quelque sorte où la confiance règne, jusqu’à la gestion qui est parfaitement transparente. La comptabilité est ainsi accessible à qui veut la consulter. L’esprit 90s suinte par tous les pores des murs : junk food dans les frigos, soirées cinéma et gaming, barbecue dans la cour et même un chien en guise de mascotte.

Les fondateurs de Troika Games. De gauche à droite : Jason D. Anderson, Tim Cain et Leonard Boyarsky.
Les fondateurs de Troika Games. De gauche à droite : Jason D. Anderson, Tim Cain et Leonard Boyarsky.

Troika Games est une survivance de l’esprit studio familial et bon enfant, une sorte de retour à la pureté originelle de l’Église vidéoludique. Seule exigence : exercer dans tous les domaines du développement d’un jeu, pas uniquement le sien. De bonnes intentions qui vont hélas se heurter très vite à la réalité d’une industrie qui a profondément changé depuis l’Âge d’Or.

Été 2001. Troika Games sort un des classiques du RPG : Arcanum. Mélange de Steampunk et de Fantasy au gameplay complexe et non-linéaire, il affiche aussi une qualité d’écriture qui est soulignée à l’époque. Ce sera aussi un succès commercial, le plus gros de l’histoire de la boîte d’ailleurs. Mais les exigences de l’industrie font qu’au-delà de l’aspect développement d’un jeu, il faut songer aussi à gérer l’entreprise. Et à Troika Games, on préfère jouer avec les pixels qu’avec les chiffres. Surtout quand on espère pouvoir accomplir le rêve de tout développeur : révolutionner le genre. Troika Games estime en effet que le RPG n’innove pas assez et veut donner un coup de pied dans la fourmilière.

Dans l’immédiat, le studio se lance dans la suite de son premier jeu : Journey to the Center of Arcanum. Mais le projet capote en raison de soucis de copyright. Catastrophe pour Troika Games qui perd deux mois de développement dans la foulée et voit la faillite se profiler à l’horizon. Leonard Boyarsky s’en souvient encore :

Il nous restait encore deux semaines jusqu’au prochain versement de salaire et nous n’avions aucune perspective d’avenir. J’ai donc appelé Scott et lui ai demandé s’il avait une idée.

Arcanum
Arcanum est un mélange savant de Steampunk et de Fantasy. Le jeu conserve encore une certaine aura aujourd’hui.

Scott Lynch, alors employé chez Valve, est une figure bien connue du monde du jeu vidéo. C’est notamment lui qui négocie le contrat d’Half-Life auprès de Sierra Online à la fin des années 90. Il se charge également de gérer celui d’Arcanum, toujours auprès de Sierra. Employé chez Valve, Scott, à l’aide d’un autre employé, Doug Lombardi, contacte Activision pour venir en aide au studio. L’opportunité tant attendue est enfin là : Activision a un projet en tête. Troika Games est sauvé. Boyarsky évoque là encore ce miracle :

Si Valve n’avait pas été là, nous aurions dû fermer Troika après Arcanum. Nous leur devons tout.

Tout heureux que l’aventure continue, il ignore cependant qu’il vient d’entamer un éprouvant chemin de croix.

Explosive Beginning, la Source du problème:

Activision suggère à Troika Games un projet à la mesure des ambitions du studio. Il se base sur la franchise de jeu de rôle Vampire la Mascarade de While Wolf. L’équipe démarre le travail en 2001 et potasse son sujet en reprenant le jeu de rôle papier pour étudier ce dernier de fond en comble. Des idées germent, une équipe est formée : 32 personnes dont le scénariste Brian Mitsoda, qui sera l’architecte du lore du jeu. Le choix du moteur graphique suscite un questionnement crucial : doit-on en développer un fait maison ou acheter une licence ? À nouveau Scott Lynch les approche pour leur parler du Source Engine, le fameux moteur du futur Half-Life 2 et qui dispose de nombreuses innovations techniques majeures : gestion des expressions faciales, synchronisation post-labiale, possibilités énormes en matière de gameplay et de scénario, haute qualité graphique.

Le choix est fait et Vampire Bloodlines devient le premier jeu de l’histoire à bénéficier du moteur Source en dehors d’Half-Life 2 lui-même. Avec une condition sine qua non cependant : Bloodlines ne pourra sortir qu’après ce dernier. Pas de souci pour Troika Games qui, dans sa tête, pense que Valve vient de sauver l’entreprise. Et que son Source Engine va pouvoir enfin leur permettre de réaliser le jeu de leurs rêves. Problème : celui-ci est en chantier.

Le Source Engine constitue le socle technologique du futur magnum opus de Valve et l’avatar des exigences du studio : le jeu ne doit être pas moins que le meilleur de tous les temps. Une tâche pharaonique et une exigence de perfection qui se doublent d’un véritable casse-tête pour les développeurs. L’entreprise n’est pas encore le mastodonte multi-milliardaire d’aujourd’hui. Mais elle dispose d’un prestige et de moyens que n’a pas Troika Games. Et le moteur est en pleine élaboration. C’est avec donc sur une base particulièrement instable ainsi qu’avec des ressources humaines et financières clairement inférieures à son « parrain » que le studio démarre le développement de Bloodlines fin 2001. Un projet plus complexe encore qu’Half-Life 2. Boyarsky estime cependant que le moteur sera profitable au projet :

On pensait qu’avec le Source Engine, nous pourrions inspirer le frisson de l’action aux joueurs.

Valve ne souhaite cependant pas laisser Troika Games se dépatouiller avec le Source Engine. Des techniciens et un représentant de la boîte suppléent l’équipe mais, très vite un déficit de communication s’installe. Ce qui n’arrange pas les choses. Les développeurs codent eux-même l’intelligence artificielle du jeu. On élabore un plan de gameplay : du combat à distance et au corps-à-corps, un volet infiltration, des séquences à choix multiple,… Leonard Boyarsky occupe alors les fonctions de chef de projet et directeur artistique de 1998 à 2005. Sa routine est menée tambour battant, son quotidien plus que chargé. Gestion de contrats, communication avec les éditeurs, management de l’équipe de développement, finances,…

Half-Life 2 était en chantier aux côtés de Bloodlines. Les deux projets allaient être profondément liés, hélas surtout pour le pire.

Il gère bon gré, mal gré la barque aux côtés d’Anderson et Cain. Côté développement, on multiplie les idées pour Bloodlines. Mais très vite on se laisse dépasser par les intentions. Boyarsky estime aujourd’hui que ce trop plein d’ambition pourrait être un des facteurs des soucis rencontrés par le studio :

On a peut-être voulu toujours trop en mettre dans nos jeux. Et sans doute qu’on s’est trop longtemps focalisé sur des idées qu’on aurait dû laisser tomber bien plus tôt.

Bon gré, mal gré, le développement du jeu continue.

The Epic of the Ankaran Sarcophagus – forger un jeu :

Bloodlines se veut un jeu extrêmement ambitieux, mélange d’Immersive Sim et de RPG. Il s’agit aussi de parvenir à traduire le mieux possible le système du jeu de rôle papier sur l’écran. Un scénario est établi : dans une Los Angeles néo-noire et décadente, un.e mortel.le est changé.e en vampire contre son gré. Rapidement il/elle est arrêté.e par la secte vampirique au pouvoir dans la ville, la Camarilla. Son géniteur est promptement exécuté et le vampire fraîchement étreint devient le serviteur du Prince de la ville, Sébastien Lacroix. Il/Elle découvre un monde livré à la conspiration, aux secrets, à la paranoïa, à la peur de la fin des temps. Avec en point de mire, un mystérieux sarcophage en provenance d’Ankara, objet de toutes les peurs et de tous les fantasmes. Celui-ci pourrait en effet contenir un des plus anciens et des plus puissants vampires de la Création.

Une créature qui, si elle était réveillée, pourrait amener la Géhenne, l’apocalypse vampirique.

White Wolf garde un œil attentif sur l’histoire et veille parfois à fixer certaines limites ! Boyarsky se souvient d’une anecdote :

On avait livré une première copie de l’histoire à White Wolf. Ils avaient adoré mais, ils nous ont dit : désolé, mais vous ne pouvez pas faire figurer Caïn dedans (NDLR : le mythique premier vampire et « père » de l’espèce). On a donc réécrit l’histoire, une histoire qui était vraiment bonne mais il manquait malgré tout ce truc de la première version que j’aimais beaucoup. On a donc commencé à travailler à partir de cette nouvelle histoire. Puis, quelques mois plus tard ils reviennent vers nous et nous disent : on bosse sur la partie consacrée à la Géhenne (NDLR : l’Apocalypse des vampires) et on reboot un peu tout ça. Donc vous pouvez faire ce que bon vous semble. Du coup je leur ai dit « donc on peut fusionner les deux histoires et obtenir un truc qui sera bien meilleur ». Et c’est sur ça qu’on s’est basés.

Le joueur peut choisir parmi sept clans, chacun possédant avantages et défauts, et bien sûr peut incarner tant un homme qu’une femme. Le jeu reprend les mécaniques du genre immersive sims auparavant inauguré par des titres comme Deus Ex, System Shock ou Arx Fatalis : environnements ouverts, possibilités d’approches multiples d’une situation, dialogues à choix et conséquences,… Le gameplay est du pur RPG avec son système de points reprenant directement la fiche de personnage du jeu de rôle papier. Un volet multijoueur est envisagé mais il ne verra jamais le jour.

Bloodlines puise dans de multiples inspirations pour forger son univers. Le jeu respire la culture populaire par tous les pores et se veut un panorama réaliste de la société du début des années 2000. Les joueurs se souviennent encore avec un frisson tant de plaisir que de terreur de l’Ocean House, hommage vibrant à Shining de Stephen King. Plus que tout on trouve aussi quelques références à d’autres jeux comme ces flippers Call of Duty et ces bornes d’arcade Pitfall. Certains ordinateurs évoquent encore les échanges rageurs entre joueurs à grands coups de L33T speak. La présence de cybercafés renvoie à cette ère bénie des grandes réunions LAN entre potes. Pour qui a connu cette époque, le jeu sera une immense cure de nostalgie.

Bloodlines est aussi affaire de musique et la bande-son du jeu demeure à ce jour une des plus mémorables jamais faites. Au-delà de la volonté de retranscrire le Los Angeles noir et décadent du jeu, il s’agit aussi de traduire les émotions de son compositeur : Rik Shaffer. Fondateur du studio Womb Music, il se charge de la partie sonore du jeu et la conçoit en effet sur une base très simple : la période la plus noire de sa vie. Plusieurs années avant de travailler chez Troika Games, Shaffer a tout perdu. Accro à la drogue, multipliant les cures de désintox’, il fait également quatre mois de prison dont il ressort dénué de tout. Il plonge dans la dépression et son seul salut provient d’un ami chez qui il crèche. Ses possessions se résument à quelques affaires qui s’amoncellent dans le coin d’une pièce.

Mais, il souhaite malgré tout se redresser et cherche à redonner un nouveau sursaut à sa carrière musicale. Il débauche un ex-batteur du groupe Queens of the Stone Age et s’enferme avec lui dans son studio délabré de Downtown L.A. Il y donnera naissance à ce qu’il qualifiera de travail le plus intime jamais fait comme il le dit encore aujourd’hui :

La bande-son de Bloodlines a été engendrée par mon état d’esprit du moment. Après 4 mois de prison, le premier morceau que j’ai écrit était celui que Troika utilisera pour la partie du jeu se déroulant à Hollywood.

Shaffer débarque plus tard dans les locaux de Troika Games et leur joue le morceau en question. Les visages des développeurs s’illuminent. Il prend alors la casquette de compositeur attitré. Seule exigence : laisser Angel de Massive Attack comme thème principal. Pas de soucis pour Shaffer qui se lance dans la composition de la bande-son. Un projet dans lequel il mettra absolument tout et qui apportera une profonde symbolique à l’univers de Vampire la Mascarade. Car pour Shaffer il ne s’agit pas juste de le traduire en musique mais aussi de lui apporter quelque chose d’intime. Et ce, en faisant un parallèle direct entre le thème du vampire et son expérience de vie :

J’avais l’impression que ma musique avait enfin trouvé son écrin. Je repensais à mon ancienne vie de junkie en recherche quotidienne de son prochain fix, un mec qui avait tout perdu et souffrait de dépression. Je me suis dit qu’un vampire devait souffrir d’un tel état d’esprit. J’ai vu en eux des gens touchés au plus profond de leur âme et atteints d’une dépendance. C’est là que tout a pris forme.

Rik Schaffer Vampire Bloodlines Compositeur
Le compositeur des musiques de Bloodlines, Rik Schaffer. Le jeu le sortira d’une passe extrêmement noire de sa vie.

La musique de Rik Shaffer est atmosphérique, sinistre, profondément triste. Le morceau To Live Forever résonne comme un cri de désespoir dans les ruelles sales et délabrées d’un Los Angeles dont le visage est loin de refléter tout le glamour qu’on prête habituellement à la ville. À l’inverse, Come Around se veut une rêverie hallucinée, presque sous emprise de stupéfiants, un répit lumineux dans les sombres artères ténébreuses de la ville. Selfless Doubt capture le côté plus lumineux du Monde des Ténèbres. The Lacroix Dream est l’avatar parfait des intrigues, complots, manipulations de la société vampirique du jeu.

Autant de thèmes que Shaffer veut faire ressortir. Non pas pour simplement habiller le jeu mais aussi pour faire ressentir viscéralement au joueur l’esprit si particulier de Bloodlines, un mélange de décadence, de gothique, de punk sauvage, d’espérances hallucinées et d’humour déjanté. Mais plus que tout, la bande-son capture également l’âme de la première moitié de la décennie des années 2000 mélange d’optimisme et d’incertitudes de l’Humanité face aux nouveaux enjeux du monde. Cette richesse, Schaffer la doit à la totale liberté créative que Troika Games lui donne. Un élément dont il se souvient encore à la lueur de ses expériences au sein d’autres studios de jeu où son champ d’action était alors sensiblement plus restreint :

Souvent, je composais quelques mesures et j’attendais d’avoir ensuite l’autorisation officielle pour pouvoir continuer ou devoir faire autre chose. Avec Bloodlines, les choses étaient différentes. Je disposais d’une liberté toute particulière ici.

Shaffer a bossé auparavant pour des jeux comme Dark Age of Camelot (2001), Shrouded Isles (2002) et X-Men Legends (2004). Bloodlines sera bien le tremplin espéré car il apportera par la suite sa contribution à Neverwinter Nights (2007) ou encore The Elder Scrolls Online (2014). Mais il conserve pour Bloodlines une affection profonde, notamment pour le morceau musical qu’il compose pour Santa Monica. Il se sert de lui d’ailleurs à une époque pour l’ambiance sonore de la page web de Womb Music dans la partie contacts.

Pourtant, ce déferlement créatif et ces belles intentions peinent à assurer au train Bloodlines un développement confortable. Troika Games est à la peine et l’argent sort des caisses. Mais le jeu lui peine à émerger de son œuf. Très vite, Activision comprend qu’il va falloir intervenir.

Bad Blood – Serrage de vis :

L’entreprise de développement du jeu doit tenir compte des caprices du Source Engine en plein développement. Des pans entiers du jeu doivent changer parfois à la lueur d’une simple mise à jour. Pendant trois ans, Troika Games se lance dans un marathon pour tenir les délais. Mais il apparaît très clairement que cette perspective est illusoire. 2003 est l’année de la reprise en main : Activision intervient. D’abord en augmentant le budget puis en expédiant l’autre équipe du studio sur Bloodlines après qu’elle ait fini de bosser sur Temple of Elemental Evil. Tom Decker, producteur au sein de cette dernière, rejoint alors l’équipe de Bloodlines vers la mi-2023.

On lui confie en effet une tâche des plus difficiles : définir les délais et assurer la communication avec Activision. Il doit prendre en compte les soucis des équipes, communiquer avec elles, aider à la coordination et à fournir des contenus au jeu. Un rapport quotidien de cinq à six pages est envoyé à Activision pour les informer. Il doit faire aussi avec le système du studio où chaque employé est autant un développeur qu’un administrateur. Prendre en charge certaines tâches administratives et délester ainsi les employés désireux de retourner plancher sur le jeu devient une autre de ses tâches. Il se souvient alors de l’ambiance des lieux :

Je me souviens qu’il régnait une espèce de répugnance à m’intégrer à l’équipe. Il m’a fallu chercher ma place.[…] J’ai tout fait pour éviter d’installer une relation du « eux contre nous » et j’ai toujours veillé à les informer du mieux possible.

L’intégration avec Troika Games se fait au mieux au final. Les relations, en dépit de la situation critique, sont idéales. Mais lorsqu’Activision décide d’envoyer ses propres agents, l’ambiance change de braquet et les tensions commencent à fuser. Pour Decker, c’est un coup de poignard dans le dos. Il estime qu’Activision ne lui fait pas confiance en agissant ainsi :

J’ignore si leur geste relève d’un précédent malheureux avec d’autres développeurs. Mais à voir leur réaction, j’avais l’impression qu’ils semblaient toujours estimer que je leur mentais ou que je cherchais à les tromper.

L’agent en question est David Mullich dont le boulot est de remettre le train sur les bons rails. C’est un matin de printemps que celui-ci quitte sa demeure de Santa Clarita en Californie pour se rendre aux bureaux de Troika Games d’Irvine. Le seul trajet est un cauchemar : jusqu’à quatre heures de route aux heures de pointe de Los Angeles. Lorsque celui-ci arrive, c’est la panique au sein du studio. Le jeu est dans un état plus qu’embryonnaire avec seulement quelques niveaux fonctionnels et des fondamentaux implantés en petite quantité. Les multiples améliorations du Source Engine font que le jeu subit d’incessantes reprises. Les mécaniques de combat et de Disciplines ne sont même pas encore en chantier ! Mullich comprend que son travail va être bien plus dur que prévu. D’abord intervenant occasionnel, il finit par être de plus en plus présent jusqu’à même devenir omniprésent au quotidien :

Je débarquais dans la matinée puis travaillais jusqu’à minuit avant de rentrer chez moi pour ne pouvoir dormir peut-être que quatre heures.

David Mullich, agent d'Activision
David Mullich est envoyé par Activision pour remettre Troika et le développement de Bloodlines sur les bons rails.

Sa présence n’est pas non plus pour améliorer l’humeur de l’équipe qui se sent surveillée par Activision. Une entente se crée cependant bon gré, mal gré comme l’explique Mullich :

C’était loin d’être un travail des plus agréables. Aucun développeur n’apprécie de voir l’éditeur leur envoyer un producteur sur place. Mais ils ont accepté la situation et se sont conduits avec tout le professionnalisme que la situation exigeait.

Mullich n’est pas le seul à venir contrôler l’activité à Troika Games. Des producteurs assistants débarquent par la suite ainsi que des agents du service de contrôle qualité chargés de tester les niveaux une fois prêts. L’un d’entre eux, Jeremiah Jones, se rappelle qu’en dépit des tension, le studio conserve son professionnalisme relationnel :

L’argent coulait encore à flots quand on a débarqué. La majorité des employés se sont montrés très accueillants, dans certains départements plus que dans d’autres.

Jones se charge des tests des niveaux puis du jeu complet afin de livrer des rapports à la maison mère. Un travail qui lui prendra entre douze et quinze heures par jour.

Les premiers rapports ne sont pas flatteurs. Jones évoque ses premiers tests comme horribles. Pas mal d’animations et de sons manquent à l’appel. L’histoire n’est pas complètement implantée. Il reste encore à adapter les combats de boss à chaque style de jeu. Côté technique, le jeu fait état d’une qualité graphique fade avec une physique capricieuse, notamment des effets ragdolls très chaotiques. Cet état des lieux doit beaucoup aussi au Source Engine qui subit des modifications constantes. Boyarsky témoigne :

On voulait faire un jeu qui était très différent de ce que Valve faisait. Eux se focalisaient sur un shooter. Nous on essayait de faire un open world, dans les limites de ce que l’époque permettait. Mais le moteur ne nous a pas laissé faire. Valve le développait pour faire ce qu’ils voulaient faire. Je crois qu’ils sont passés par je ne sais plus combien de programmeurs en IA et à chaque fois qu’ils changeaient quelque chose, nos propres IA finissaient à la poubelle.

Tim Caine renchérit :

C’était pareil pour la physique. Dès qu’ils changeaient quelque chose au moteur physique, une tonne de trucs finissait par ne plus fonctionner de notre côté.

Pour Jones, il reste encore des masses de travail à abattre et Troika Games doit mettre la main à la pâte de façon intensive. Jones se souvient d’une anecdote :

C’était une nuit, vers environ quatre heures du matin. Je venais justement de finir de tester un passage du jeu en mode furtif quand je remarque qu’on m’a oublié dans l’immeuble. Il m’a fallu déclencher l’alarme pour sortir.

Puis d’ajouter :

C’est souvent comme ça que se terminaient mes journées : finir tard dans la nuit, dormir dans ma voiture, et reprendre mes tests le lendemain.

Mullich et Decker s’entendent et parviennent à motiver l’équipe. D’abord pessimiste et déçu, le second finit par s’habituer à la présence du premier :

Je pense qu’Activision a agi ainsi parce que David figurait sur leurs fiches de salaire. Ils pouvaient donc lui faire plus confiance qu’à moi. Deux cerveaux valaient mieux qu’un au final et je pense qu’à nous deux nous avons pu faire avancer les choses au mieux et au plus vite.

La tâche incombe donc à Mullich de trouver un équilibre entre les intentions des développeurs et les exigences de l’éditeur. C’est une danse bien connue du monde du jeu vidéo qui démarre alors entre les deux camps. Du côté de Troika Games, les créatifs ne souhaitent ni plus, ni moins que livrer le jeu qui a été promis. Donc sans coupures de contenu, ni de temps et bien sûr sans réduction des moyens financiers. De l’autre Activision souhaite éviter de changer le développement du jeu en trou noir financier et voir enfin du concret sur ta table. Manque de chance, annoncer à Activision que les progrès espérés ne sont pas aussi grands que prévus devient un geste régulier. Mullich doit donc se charger de motiver les troupes à passer l’accélérateur tout en gardant le développement du jeu sur les bons rails.

Troika Games comprend rapidement que son grand projet de jeu pour Bloodlines ne verra sans doute pas le jour. Le fait est qu’Activision connaît une des tendances du studio : rajouter du contenu encore et encore tant et si bien qu’il finit par ne plus rester de temps pour tester le tout. Un manager d’Activision témoigne que le studio s’est un jour amusé à rajouter une fonctionnalité de dernière minute à l’un de ses jeux. Conduisant celui-ci à être truffé de bugs à sa sortie occasionnant évidemment des critiques à ce sujet. Il évoque une autre anecdote :

Un jour, quelqu’un de chez Troika m’a expliqué non sans fierté avoir modifié la version gold d’un jeu alors que le code était en plein upload vers l’éditeur. Quand j’ai entendu ça, le sang m’est monté à la tête si vite qu’un vampire n’aurait pas eu le temps de l’aspirer. Ma tâche consistait à empêcher cela et de dire « stop ! ». Il ne devait plus y avoir aucun choix en matière artistique et de design.

Vampire Bloodlines Bugs
Boodlines lutte avec une affolante cohorte de soucis. Dont des bugs particulièrement féroces.

Mullich se fixe pour objectif de stabiliser le navire le mieux possible et de l’amener à bon port. La feuille de route est simple : fermer tous les chantiers en cours et empêcher tout rajout de contenu sauf s’il sert à corriger des bugs. Tout élément du jeu inexploitable passe à la trappe. Ce sera le cas du mode multijoueur. L’objectif n’est plus à la créativité mais à la finalisation du produit. Pour Tim Cain, Activision gèle littéralement le projet :

Tout est question de perspective. Si je dis qu’on gèle le projet, alors oui à mes yeux c’est ce que nous faisions. Mais pour Activision, on parlait plus de «s’en tenir au plan ».

Les agents d’Activision se montrent impitoyables avec le contenu du jeu. Si un niveau ne fonctionne pas pour une raison X ou Y, il passe à la trappe. L’un d’entre eux, le Bradbury Building, disparaît de la surface. Naturellement, Troika Games gronde. Rik Shaffer se souvient :

La tension était palpable quand l’un des producteurs ordonnait l’arrêt des travaux sur une partie du jeu pour mobiliser les ressources vers des domaines plus importants. Un des éléments concernait l’un des clans de vampires et il était question de son esthétique générale, la couleur des yeux notamment. Le Lead Writer a balancé une chaise à travers la pièce quand il a appris que ça allait passer à la trappe.

Pourtant malgré les nouvelles règles, la somme de travail ne diminue pas. Activision prend en compte le facteur temps très au sérieux et exige un contrôle renforcé sur les heures de travail des employés. Tom Decker est chargé de cette tâche ingrate et doit vérifier l’heure d’arrivée et de départ de chaque employé. À Troika Games, la politique du crunch s’installe et Decker se souvient alors :

Quand l’un de nos artistes, quelqu’un avec un talent énorme, abattait moins de 80 heures de boulot, on ne parlait pas de lui en bien. Chacun bosse plus de 80 heures par semaine, certains jusqu’à 120 heures. Ça paraît difficile à croire aujourd’hui mais pourtant c’était la réalité et moi j’étais une espèce de maître du temps. Ça semble complètement fou quand on y repense, c’était quelque chose de particulier de voir tous ces gens travailler sur un objectif commun aussi durement et longtemps.

Missing Data – le leak du moteur Source :

La situation reste tendue et à cela se rajoute un clou dans le cercueil et pas un petit : 2003 est l’année du leak du code Source du Source Engine de Valve. Le 7 octobre, un hacker allemand de 21 ans, Axel Gembe, exploite une vulnérabilité dans le réseau interne de Valve. Il espère ainsi découvrir des nouveautés sur les futurs titres de la boîte, notamment le très attendu Half-Life 2. Bien qu’il se lance dans cette entreprise sans grande attente, il parvient pourtant par accident à accéder aux serveurs hébergeant les données des jeux en développement de la boîte. Pendant plusieurs semaines, profitant d’une furtivité providentielle, il finit même par découvrir les fichiers sources du jeu qu’il télécharge et parvient à faire tourner après quelques manipulations.

Il transmet ensuite le code source du Source Engine à un autre hacker associé au groupe myg0t qui relâche le code source via des sites de torrent et de P2P. En voyant cela, Gemble décide à son tour de faire fuiter les autres fichiers leakés. L’action dévoile alors l’état prématuré du Source Engine au grand public et l’affaire fait du bruit. Panique à bord chez les développeurs de Half-Life 2 qui retouchent le moteur pour renforcer la sécurité et décident d’un nouveau report du jeu. Gabe Newell en appelle à la communauté pour retrouver les pirates. Les autorités finissent par identifier et arrêter Gembe bien qu’on lui retienne d’autres chefs d’accusation.

Axel Gembe, pirate informatique qui déroba des fichiers à Valve.
Axel Gembe, le pirate informatique ayant percé les défenses de Valve. Arrêté par les autorités, il avoue ses actes concernant le piratage du studio et passe seulement deux semaines en prison. Son récit avait en effet suscité la sympathie de ses interrogateurs. Il se range ensuite et obtient un emploi dans la sécurité informatique. Un procès a finalement lieu en novembre 2006 qui durera 7 heures. Les officiels de Valve ne sont cependant pas présents et aucune preuve qu’il a bien fait fuiter le code source du Source Engine n’est présentée bien qu’il l’ait avoué. Le tribunal prend également en compte son enfance difficile. Gembe n’écopera au final que de deux ans de probation.

Du côté de Troika Games, c’est une catastrophe : le report d’Half-Life 2 signifie de facto le report de Bloodlines. Or, si les gars de Valve ont les moyens de se permettre un nouveau délai, ce n’est pas le cas de Troika Games. Ni d’Activision d’ailleurs qui veut rentabiliser le projet et non investir davantage. Tom Decker repense à cet événement :

On dépendait de leur code source. Mais la différence, c’est que Valve n’avait ni limite, ni pression. Activision nous payait et voulait que le jeu soit fini à une certaine date. Mais comment aurions-nous pu la respecter si Valve n’avait pas encore fini son jeu ?

Aujourd’hui encore, Tim Caine en veut encore à Activision :

Ils savaient, ILS SAVAIENT qu’ils auraient dû gueuler sur Valve, et pas sur nous. Mais ils ne pouvaient pas. Donc c’est sur l’équipe du jeu qu’ils ont gueulé.

Troika Games est alors laissé sur le carreau et le code du moteur Source n’est plus mis à jour. L’équipe se retrouve prise en étau entre le perfectionnisme de Valve et Activision qui hurle au téléphone et coupe les aides financières. L’atmosphère déjà insoutenable passe à la colère, au désespoir et à la déprime. L’avenir plus qu’incertain du studio est alors dans tous les esprits. D’autant plus qu’Activision veut tenter un coup de poker : pondre le jeu le même jour que la sortie d’Half-Life 2 afin de bénéficier de sa très certaine et prévisible popularité. David Mullich raconte :

On savait depuis quelques mois que le service marketing d’Activision voulait sortir Bloodlines le même jour qu’Half-Life 2. J’ai donc demandé à mon manager à quel jour était fixée l’ultime deadline pour avoir le temps de tester le tout puis de produire et livrer la copie finale.

En mi-septembre 2004, Troika Games présente sa version finale du jeu à Activision. Celle-ci reçoit le feu vert du service Contrôle Qualité. Seulement, Half-Life 2 n’est pas encore sorti et Bloodlines doit patienter avant de voir les étals. Troika convainc alors Activision de lui financer un délai supplémentaire pour peaufiner le jeu et refaire un tour au sein du service contrôle qualité. Mullich se rappelle :

Quelques semaines plus tard, on accouchait de la deuxième version pour la sortie et c’est celle-ci que nous avons expédiée à Activision. Deux semaines de plus auraient suffi pour arrondir les angles, améliorer les animations et éliminer le problème des objets qui disparaissent. Le problème, c’est que nous avions dépassé la date limite depuis longtemps. Activision ne voulait pas prendre le risque de voir de nouveaux bugs apparaître en raison du polissage, d’autant plus pour un jeu qui affichait déjà des mois de retard dans le planning.

Cette période d’attente frustre Activision mais aussi Troika Games. Au sein du studio, l’heure est à la morosité, d’autant plus qu’aucun futur projet n’est à l’horizon. Rik Shaffer se souvient d’une scène alors qu’il passe dans les couloirs :

Leonard Boyarsky est assis à son bureau avec à côté de lui le game designer Chad Moor. Jason Anderson est quant à lui affalé sur le canapé. Le silence règne dans la pièce, la porte est fermée. Je crois qu’ils avaient compris que le studio était dans la panade. Je me souviens que Chad faisait partie d’un groupe de rock du nom de Fez Head avec Jason et Leonard. J’ai donc pénétré dans la pièce et je me suis fait passer pour un guitariste qui auditionnait pour intégrer leur groupe. Ça leur a rendu le sourire un petit moment.

À l’animosité succèdent évidemment des périodes de tensions. Bien que les anciens de Troika Games affirment aujourd’hui le contraire, la fin du développement du jeu voit des moments difficiles émerger entre membres. Jeremiah Jones témoigne :

À un moment donné, les employés de Troika et Activision n’allaient même plus manger ensemble.

Rik Shaffer se souvient quant à lui d’un incident qui contribua à jeter d’avantage d’huile sur le feu entre Troika Games et Activision :

Un des producteurs d’Activision a un jour mangé un burger et a fini par devenir malade. Il était dans un tel état qu’il a dû quitter le travail et rentrer chez lui. Et ce en plein milieu d’une semaine importante impliquant de nombreuses décisions à prendre. Il prétendait avoir été empoisonné.

L’aspect juridique s’en mêle, les développeurs se « vengent » à leur manière : un déclencheur dans le tutoriel du jeu est nommé « Activision sucks ». Dans le code, des remarques sont dissimulées comme :

Il est 11h30 du matin et je suis bourré, ce putain de jeu n’est pas encore livré ?

Le calvaire prend pourtant fin le 16 novembre 2004, le jour même de la sortie d’Half-Life 2. La stratégie « effet boule de neige » d’Activision se plante lourdement. Outre la concurrence du titre de Valve qui triomphe sur tous les plans, Bloodlines doit également affronter deux autres ténors lors des fêtes de fin d’année : Halo 2 et Metal Gear Solid 3. D’autant plus qu’il est loin d’être stable : véritable usine à bugs, instable, il est notamment victime d’un méchant souci qui fait cracher le jeu lors d’un passage précis et empêche donc toute progression. La presse se montre évidemment prompte à pointer ces soucis du doigt tout en saluant malgré cela l’ambiance sonore et visuelle, l’écriture, les dialogues ou encore les quêtes. Un chef-d’œuvre saboté, un joyau en ruines, tels sont les propos qui qualifient le jeu la plupart du temps. Au total, Bloodlines ne s’écoulera qu’à 90 000 exemplaires.

Half-Life 2 Screnshot
Malgré toutes les intentions ambitieuses de Troika et les espoirs d’Activision, le pari de la notoriété d’Half-Life 2 sera une grave erreur. L’ogre de Valve règnera sans partage, laissant Bloodlines dans son ombre.

Pour Troika Games, c’est la fin d’un cauchemar. Mais ce cauchemar lui sera hélas fatal.

You only die once a Night – la fin d’un rêve :

Pour le studio, le constat est aussi noir que la nuit angeline de Bloodlines : campagne de lancement désastreuse, mauvaises ventes, le studio est de retour à la base départ. Un studio épuisé, déprimé et pessimiste sur son avenir. Mais un studio qui peut enfin respirer. Tom Decker témoigne :

On était vraiment sincères vis-à-vis d’Activision quant à nos heures de travail. Aucune équipe occulte ou membre du studio ne planquait de projet secret à ce moment. Un jour, David Mullich est venu me voir et m’a affirmé qu’il était sûr qu’on allait annoncer un nouveau projet à la sortie de Bloodlines. Ce qui m’a amusé car j’ignorais ce qu’il avait vu.

La fin du développement du jeu marque également celle du crunch. Le studio veut passer à autre chose. Certains employés bossent sur les mises à jour du jeu tandis que d’autres développent des démos techniques en vue d’attirer l’attention d’un éditeur. Un jeu de rôle post-apocalyptique est envisagé mais ne dépassera pas la démo technique. Chris Glen, artiste concepteur, en parle :

Le jeu devait inspirer un sentiment d’isolation, une lutte pour la survie, dans la lignée des films Mad Max.

À cette époque la licence Fallout est en vente. Troika Games souhaite la récupérer. Après tout il s’agit du bébé des pères fondateurs. Mais un concurrent se met en travers du chemin : Bethesda. Leonard Boyarski commente  :

Quand on a appris que Fallout avait été mis à la vente et que Bethesda voulait l’acheter – bien avant que la nouvelle ne soit rendue publique – on a joué des coudes pour trouver un éditeur avec qui on aurait pu le récupérer. Mais personne n’était intéressé. Enfin ils l’étaient tous, mais le prix était trop haut, paraît-il. Mais, c’est possiblement un prétexte car nous n’avons jamais su à combien Interplay avait vendu Fallout.

Fallout échouera au final dans les mains de Bethesda. Troika Games continue donc à travailler sur d’autres projets. On bosse sur une démo de Werewolf, autre saga de la franchise du Monde des Ténèbres. Des discussions avec Electronic Arts s’ouvrent sur un jeu de Fantasy avec un gameplay se fondant sur la furtivité. Tom Decker fait jouer ses contacts d’Interplay pour organiser un meeting afin d’évoquer le développement de Wasteland 2 aux côtés de Brian Fargo et son équipe d’InXile. Hélas, le trio fondateur de Troika se souvient de graves tensions internes avec ce dernier lors des jours de Fallout. Decker en reparle :

Pendant un court moment, il a vraiment été question de faire Wasteland 2. Mais les tensions entre les fondateurs de Troika Games et Brian Fargo étaient trop fortes et je pense qu’ils ont tué le projet dans l’œuf avant qu’il n’ait pu voir le jour.

Fallout 3
Fallout fut mis en vente par Interplay et Troika tenta de récupérer la franchise. Mais Bethesda en décida autrement. En 2008, Fallout 3 sort.

UbiSoft tente également d’approcher le studio. Problème : l’éditeur français veut faire appel au Source Engine, voyant l’aspect attractif de ce dernier mais aussi l’expérience que Troika Games avait dessus. Les programmeurs en chef du studio lui font cependant clairement comprendre qu’ils ne travailleront plus jamais sur ce moteur. Conséquence : UbiSoft se détache immédiatement. Troika Games reçoit des contrats mais ceux-ci sont sans intérêt. Pas assez ambitieux, pas assez intéressants pour faire vivre le studio. Et plus que tout, aucun jeu de rôle. Le studio refuse de faire un jeu qui ne donnera pas envie d’y jouer à ses employés. Trois jours avant Noël, les développeurs publient le patch 1.2 pour Bloodlines afin de régler notamment le bug majeur faisant crasher le jeu. Mais bien qu’il reste encore des choses à corriger, ce sera le dernier travail de codage du studio.

Face à la gravité de la situation, Tim Cain n’a pas d’autre choix que de licencier les employés. Tom Decker est l’un des derniers à rester. Faute d’argent, il travaille gratuitement encore un mois dans l’espoir de décrocher de nouveaux contrats. Le cauchemar qui avait fini avec Bloodlines avait laissé place à un autre : la fin imminente du studio. Decker évoque là encore cette période :

À la fin une immense tristesse régnait… Tout le monde prenait conscience de la réalité du cauchemar. Un jour, Leonard est venu à moi pour s’excuser en personne. Il n’aurait pas dû le faire. Ce genre de choses arrive, des entreprises ferment. Pourtant, il était réellement surpris que ça lui arrive et il se sentait terriblement désolé que cela impacte la vie des gens à ce point.

Au final ne restent que les trois fondateurs du studio dont la belle amitié sera profondément meurtrie. Decker en parle :

On aurait dit qu’un fossé s’était installé entre eux et que le combler allait être difficile, peu importe ce que l’avenir leur réservait. Quel que soit la nature du feu qui les avait poussé tous les trois à se lancer dans l’aventure, il était désormais éteint.

Le 25 février 2005, Troika Games ferme officiellement ses portes.

Gone Fishin’ – l’après Troika Games pour ses créateurs :

Troika Games est mort. Quid de ses fondateurs ?

Leonard Boyarsky décide de prendre un congé sabbatique. Il subit en effet un burn-out des plus sévères suite à la fermeture du studio. Il lui faudra un an pour s’en remettre. Par la suite, Blizzard le contacte pour travailler sur son prochain jeu : Diablo III. Il y occupera la fonction de World Designer ainsi que sur son extension, Reaper of Souls. Autre casquette qu’il endosse : celle d’architecte du lore, des dialogues et des quêtes. Il décide notamment de renforcer le rôle de l’histoire dans la saga et de la rendre plus attrayante. Un parti-pris qui fait l’effet d’une petite révolution au sein de Blizzard, plus axée sur les aspects gameplay. Il devient rapidement une figure de proue du studio et le gourou du lore de Diablo. Une promotion qui lui vaut de figurer régulièrement aux côtés de l’autre loremaster du studio, Chris Metzen, lors des Blizzcon.

La communauté de joueurs le surnomme affectueusement LeBo et un des objets du jeu lui rend hommage : le fameux tesson de Boyarsky bien connu des Croisés amateurs de builds épines. En 2016, Boyarsky déménage chez Obsidian Entertainment et y retrouve son vieux complice Tim Cain. Il y développe le « jeu de son rêve » à ses côtés. Ce jeu se nomme The Outer Worlds et sort en 2019. Il est toujours membre du studio à ce jour.

Tesson de Boyarsky
Le Tesson de Boyarsky de Diablo III, bien connu des croisés épines. La description de l’objet évoque un « caveau souterrain » (underground vault), une référence directe à Fallout.

Tim Cain devient directeur de la programmation chez Carbine Studio et travaille sur un MMO de Fantasy pour NCSoft : Wildstar. Hélas, il se retrouve à nouveau dans une situation similaire à celle de Troika Games : un studio sans vision stable, un éditeur aux méthodes discutables. Bien que bombardé designer en chef en 2007, il n’a que trois mois pour donner une épaisseur au jeu. Hélas, NCSoft envoie une équipe de remplacement, les relations se passent mal, Tim Cain accuse le coup. Il claque la porte du studio en juillet 2011 :

Carbine est pour moi l’exemple parfait de ce postulat : sans vision précise pour fédérer l’ensemble des employés – tant les cadres que les développeurs – on court à la ruine. Aucune somme d’argent, aucun délai ne pourront compenser le fait que sans vision claire, vous échouerez. J’ai essayé d’être le visionnaire, on m’en a empêché. J’ai essayé de soutenir d’autres personnes, dont une qui elle aussi était visionnaire : ça n’a pas fonctionné. J’ai donc dû me retirer de tout ça. À bien des égards, comme je l’ai dit aux gens, Carbine m’avait brisé.

Fort heureusement l’avenir lui sourit enfin. La même année, il rejoint Obsidian Entertainment en tant que programmeur senior où il travaille sur Pillars of Eternity. Il retrouve également son ami Leonard Boyarsky et tous deux accouchent de The Outer Worlds. Depuis 2020, il n’est plus employé à plein temps mais continue à travailler pour Obsidian sur la suite du jeu ainsi qu’avec deux autres compagnies en tant que contractuel.

The Outer Worlds
The Outer Worlds signe les retrouvailles entre Leonard Boyarsky et Tim Cain. Le cauchemar de Troika est bien loin désormais.

Quant au dernier larron du studio, Jason Anderson, il commence par prendre des vacances avec sa famille. L’occasion d’apaiser des tensions personnelles, de retaper la maison familiale et de déménager à Phoenix dans l’Arizona où il se lance dans l’immobilier. Il profite de cet éloignement pour entamer une grosse introspection quant à son expérience au sein de l’industrie du jeu. Jouer à des jeux lui permet de renouer avec son amour pour le métier. Son retour a lieu en 2007 au sein d’Interplay qui reprend alors ses activités de production de jeu. Le studio l’embauche en tant que chef de leur premier projet aux côtés d’un des co-créateurs de Fallout, Chris Taylor. Un projet qu’on suppose aujourd’hui être un MMO sur Fallout.

Mais le rachat de la licence par Bethesda provoque des tensions juridiques au sein de l’entreprise et le gel du développement. Bien qu’ayant apprécié de travailler dessus pendant un temps, Anderson décide de rejoindre InXile qui lui offre une opportunité plus stable. Il y travaille sur l’histoire de Wasteland 2 avant de rejoindre Turtle Rock Studios en 2011 où il travaillera sur Evolve. Il finit par revenir en 2019 dans le giron d’InXile où il se trouve toujours présentement. Son prochain projet de jeu : Clockwork Revolution.

Clockwork Revolution
Clockwork Revolution,titre de Jason Anderson. Celui-ci est toujours en cours de développement.

Coup du sort : Microsoft rachète InXile et Obsidian en 2018. Les deux studios sont alors rattachés à la branche Xbox Game Studios.

Pour la première fois depuis la fermeture de Troika Games, Leonard Boyarski, Tim Cain et Jason Anderson sont (indirectement) réunis. Leur amitié s’est depuis pleinement remise de l’expérience Bloodlines et les trois compères se voient régulièrement.

A Confession, souvenirs de Troika Games :

Des années après, les langues se délient. L’expérience Troika Games reste évidemment omniprésente dans l’esprit de ses fondateurs et employés. On y reparle nostalgie, tristesse, ambitions contrariées et du champ des possibles. Leonard Boyarsky se souvient :

Aujourd’hui tout me paraît un peu flou quand j’y repense. Presque tout le développement du jeu a porté un coup néfaste à notre santé mais aussi à nos relations personnelles. Le développement a été un tel calvaire que j’ai du mal à imaginer quelle période était la pire. On était tout simplement épuisés.

Il évoque également les prises de positions de Troika Games. Une introspection pleine de regrets :

Je me demande souvent quelle a été la plus grande erreur de Troika. Pour ce qui est de l’entreprise et de sa structure, c’était avant tout de ne pas avoir quelqu’un pour s’occuper de l’aspect business, du côté administratif et de trouver l’argent. Ça aurait pu nous sauver mais Jason, Tim et moi étions naïfs et pensions qu’on pouvait minimiser cet aspect.

Il nourrit également quelques regrets sur les partis-pris lors du développement de Bloodlines :

Je persiste à dire que nous étions les meilleurs dans ce qui relevait du domaine du RPG. On était moins bons dans le domaine de l’action. On tentait de s’adresser à un public plus vaste que celui auquel on était habitués. Avec le Source Engine, on pensait insuffler un côté plus action au jeu mais il a souffert de cette erreur. […] C’est ce genre de chose qui nous a donné le coup de grâce. Au lieu de travailler avec un éditeur sur un projet qu’il souhaitait, on s’est tiré une balle dans le pied en imposant ce qu’on voulait. Ce n’est pas le genre de projet qu’un éditeur veut financer.

Tom Decker se souvient également :

Les trois fondateurs avaient une vision grandiose de leurs objectifs. Cette vision inébranlable et leur répugnance à accepter les autres aspects du métier tenaient les potentiels futurs contrats à distance du studio. À l’époque pas mal de talents s’en sont allés et sans doute qu’un peu plus de compromis aurait pu sauver le studio. Mais je conserve un grand respect pour les fondateurs qui sont restés fidèles à leurs idéaux au point de couler avec le navire presque par principe. Peut-être que j’étais un peu aigri, moi aussi, à ce moment-là mais j’étais surtout très triste.

Pour Jeremiah Jones, la chute de Troika Games provient d’un clash entre ses mauvaises décisions et celles d’Activision. Culminant avec la chute d’un studio qui aurait pu devenir un pilier grandiose de l’industrie auprès d’un éditeur déjà colossal à cette époque. Il ajoute :

Quand on y repense, c’est là une expérience fascinante et très éducative qui vous apprend ce que vous ne devez pas faire quand vous développez un jeu vidéo.

Tout n’est pas sinistre dans les réminiscences des anciens. Du côté de Rik Shaffer, l’expérience chez Troika reste probablement son apogée et surtout le tournant de son existence :

C’est toujours difficile de prédire le jour où on livrera son meilleur travail. Et pourtant c’est ce que Bloodlines est devenu : mon meilleur travail. Aujourd’hui encore, je reçois presque chaque semaine des messages de gens à qui la musique du jeu plaît. Ma vie était une épave, je menais une existence désespérée, presque comme un vampire quand quelques-unes des compositions de Bloodlines sont nées.

Exorciser le cauchemar ? Le souvenir reste certes amer, mais pour ses anciens employés, le chapitre est clôs. De l’eau a coulé sous les ponts, riche en enseignements. Et puis il y a ce facteur essentiel qui a agi comme un baume apaisant. Quelque chose qui s’est clairement installé au fil des années. Le miracle souvent tant espéré par ses malheureux auteurs.

Bloodlines est devenu un titre cultissime.

Going the Way of Kings : la consécration d’un grand :

Qu’importe les soucis techniques : Bloodlines acquiert la réputation d’être le meilleur jeu jamais pondu sur la franchise Monde des Ténèbres.

Mais il intègre également l’illustre panthéon des meilleurs RPG de tous les temps. Et même celui des meilleurs jeux de tous les temps. Son atmosphère néo-noire, sa vision à contre-courant d’une Los Angeles décadente et presque apocalyptique, son ton mélangeant noirceur, maturité et humour déjanté, l’incroyable intelligence et finesse de ses dialogues, ses personnages hauts en couleurs, ses quêtes exceptionnelles impressionnent encore aujourd’hui. À l’heure actuelle, le moddeur Wesp5 continue de livrer un patch non-officiel pour stabiliser le jeu et restaurer le contenu coupé. Ce patch est aujourd’hui un incontournable pour qui veut faire le jeu dans les meilleures conditions. Les fans de Vampire parlent encore de Bloodlines avec une véritable révérence.

Le jeu constitue également une œuvre avec une identité propre au sein de la franchise du Monde des Ténèbres et même un jalon. Il devient aussi un modèle inspirateur pour d’autres titres. Ainsi, on peut citer le studio Rocksteady qui, en plein développement de Batman : Arkham City, reprend le design du personnage de Jeanette Voerman pour l’appliquer à Harley Queen, la complice démente du Joker. Ce design qui n’a plus quitté le personnage depuis trouve donc ses origines dans Vampire : Bloodlines… chez une vampire appartenant à un clan connu pour être frappé de folie. Comme quoi…

Jeanette Voerman, inspiratrice d'Harley Queen.
Jeanette Voerman, « mascotte » de Bloodlines et personnage majeur du jeu. Elle a directement inspiré l’apparence actuelle d’Harley Queen de DC Comics. Sachant qu’elle provient d’un clan de vampires notoirement frappé de folie, on ne pouvait rêver meilleure muse.

Certains passages du jeu marquent profondément les mémoires. La quête de l’Ocean House notamment fédère les plébiscites chez les joueurs, la presse mais également les développeurs de jeu. Ainsi, Kain Shin, programmeur gameplay pour Dishonored adoube ce passage comme un niveau d’une importance capitale à étudier pour les designers :

Lorsque vous arrivez à ce niveau, vous êtes insurpassable dans l’utilisation des armes et des pouvoirs face aux menaces ennemies dans le jeu. Les monstres ne vous font plus peur, car vous savez exactement ce qu’ils sont et comment les vaincre. L’hôtel Ocean House vous ramène aux fondements de la peur en vous donnant l’impression que vous êtes à nouveau en terra incognita, et c’est pour cette raison que je me souviens encore de ce niveau… Mon Malkavien (NDLR : les Malkaviens forment l’un des clans de vampires de la franchise) surpuissant s’est senti à nouveau vulnérable. Alors que tout cela n’était qu’une illusion faite de tours de passe-passe. Il ne faut pas longtemps pour réaliser à quel point les ennemis du jeu vous confortent jusque-là en alimentant votre fantasme de pouvoir dans le jeu. Contrairement au reste du jeu, cet hôtel abandonné et solitaire vous inspire un sentiment constant d’effroi en vous privant de toute certitude.

GameSpy lui attribuera d’ailleurs le Game of the Year Award dans la catégorie Meilleur niveau d’un jeu sur PC en 2004.

Ocean House Vampire Bloodlines
L’une des quêtes de la première partie de Bloodlines vous emmène dans un hôtel abandonné : l’Ocean House. Ce moment du jeu fera forte impression chez les joueurs mais aussi les critiques et les développeurs de studios contemporains et futurs !

Bloodlines reçoit également plusieurs consécrations. IGN offre à Bloodlines un « Best-Of » dans la catégorie des RPG, toujours la même année. En 2005, Computer Gaming World le sacre « Jeu de Rôle » de 2004 grâce à « son système de création de personnages profond et équilibré, une multitude de quêtes intéressantes, une bonne histoire et de superbes PNJ avec lesquels interagir ». Le jeu est également nominé dans la catégorie « Meilleure écriture – 2004 » par Computer Games Magazine. La récompense ira cependant à Half-Life 2. En 2005, le jeu est nominé lors de la 8ème édition des Annual Interactive Achievement Awards, catégorie « Jeu de Rôle sur Ordinateur de l’année ». C’est cependant Neverwinter Nights: Kingmake de Bioware qui la remportera.

Les fans ne tarissent pas d’éloges non plus sur le jeu. Leonard Boyarsky se souvient d’une anecdote qu’il partage avec Tim Cain dans une entrevue croisée sur Youtube :

Je crois me souvenir que c’était pendant qu’on développait The Outer Worlds. Je n’ai jamais joué à Bloodlines après sa sortie. Je n’y ai plus jamais jeté un œil. Ça déclenchait en moi de très mauvaises choses. C’était un terrible moment dans ma vie. Un jour, j’ai regardé quelqu’un faire un Let’s Play. Je m’étais dit qu’il fallait que je le regarde à nouveau. Je ne pouvais pas y jouer mais il fallait que je regarde quelqu’un y jouer à ma place. Pour revoir les points clés du jeu. Et donc, il (le joueur) évolue au sein de l’immeuble où le personnage a son appartement. Il marche donc dans les couloirs, les escaliers, etc etc… Et moi, je regarde ça et je me dis : c’est vraiment nul, y’a absolument rien, les textures sont… Bon sang… J’arrive pas à croire qu’on a sorti ce jeu. Ça commence à me déprimer. Et à ce moment précis le joueur lance : j’aime tellement ce jeu, ce jeu c’est le meilleur, je suis tellement fan de lui. Il commence à parler de tous les aspects géniaux du jeu, il répète à quel point il l’adore, il dit combien de fois il l’a terminé. Sur le moment c’était très cathartique. Moi j’étais là à me dire : j’arrive pas à croire qu’on ait livré un jeu dans cet état-là et là ce gars te dit à quel point il est fan du jeu et combien de fois il l’a fait. Et puis le fait que t’as toujours des gens pour le mettre à jour ? Il y a ce truc… J’ai envie d’inclure Chad (Moore) parce qu’il faisait aussi partie du truc, on avait cette alchimie, cet enthousiasme et cette volonté de faire ces choses. Moi, je voulais que ce soit quelque chose de très profond et de très bon. Et que même si on a échoué, notre passion elle reste palpable et les joueurs ont su la capter.

Tim Cain lui répond :

C’est vrai parce que… certes nos jeux ont des bugs par-ci, par-là. Mais on peut dire que les jeux de Troika étaient très spéciaux : il y avait un style, un savoir-faire qui je pense transcende les bugs, le temps, les moteurs de jeu et… il y a quelque chose en eux. […] Quand nous avons fermé Troika Games, une ère s’est achevée.

Les joueurs approuvent aujourd’hui. Troika n’était pas seulement qu’un studio, c’était aussi une époque et un savoir-faire spécifique dont Bloodlines reste aujourd’hui le plus bel avatar malgré ses soucis techniques.

En 2018, une suite sous forme de Web Série de JDR sur table est créée : L.A by Night menée par le game designer et actuel directeur de la marque Jason Carl. Cette série explore les retombées directes des événements de Bloodlines en se focalisant sur une coterie de quatre vampires Anarch : Victor Temple (B. Dave Walters), le Ventrue producteur de musique, Nelly « G » Griffith (Cynthia Marie), la styliste Toreador, Jasper (Alexander Ward), le Nosferatu, et Anabelle (Erika Ishii), une Brujah idéaliste fraîchement étreinte qui va découvrir le Monde des Ténèbres.

Trois saisons sont diffusées sur Twitch puis publiées sur la chaîne YouTube Geek and Sundry. Par la suite, les saisons 4 et 5 sont publiées sur chaîne officielle de la franchise Monde des Ténèbres. Ceci permet notamment d’insérer l’histoire dans la canonicité officielle de la franchise. La série engendrera d’autres suites se situant dans d’autres villes comme New-York et Seattle. Elle reçoit les acclamations du public et des critiques.

L.A by Night, suite de Bloodlines, qui dévoile les conséquences des événements du jeu sur la ville de Los Angeles à travers les yeux d’une coterie de quatre vampires. De nouveaux personnages sont introduits mais les fans retrouveront également des têtes bien connues du jeu ! L’exceptionnelle interprétation des acteurs et l’incroyable talent de narrateur de Jason Carl font qu’en l’espace de quelques minutes on oublie qu’on assiste à une session de jeu pour voir à la place un show digne des meilleures séries TV. 

En mars 2019, Paradox annonce la mise en chantier d’une suite : Vampire la Mascarade – Bloodlines 2 pilotée par Hardsuit Labs, studio de Seattle où se déroule le jeu. Brian Mistoda, scénariste et doubleur occasionnel au sein du premier volet occupe le poste de directeur narratif. À ses côtés se trouve Cara Elisson qui officie en tant que scénariste senior. L’objectif : faire une digne suite du premier jeu tout en restant fidèle à son ton cynique, adulte et néo-noir. Le scénariste Chris Avelone participe également au projet. Mais en 2018, il fait face à des accusations d’agressions sexuelles. Ce qui lui vaut d’être écarté du projet et de l’industrie en général. Par la suite les accusatrices révèlent avoir menti et sont condamnées à verser « une somme à sept chiffres » au scénariste. Celui-ci ne réintègre pas l’équipe, son travail ayant été remplacé.

Par la suite cependant, la malédiction de Bloodlines rattrape son petit frère. Le développement fait en effet face à de graves soucis. Paradox cependant se montre beaucoup plus dur qu’Activision. Après avoir éjecté Mistoda et Cara Elisson en 2020, l’éditeur décharge Hardsuit Labs de ses responsabilités l’année d’après. Le jeu sombre dans le silence pendant deux ans jusqu’en septembre 2023. Au cours de la PAX West, Paradox annonce la reprise du jeu par le studio britanique The Chinese Room. Une reprise qui se traduit par une remise à zéro de tous les aspects du jeu, y compris l’histoire, le ton et l’ambiance générale pour faire place à la vision propre du nouveau studio.

Bloodlines 2
Bloodlines 2 connaîtra lui aussi les affres d’un développement chaotique. Paradox cependant a été plus radical dans son approche du problème que Troika Games. Aujourd’hui entre les mains de The Chinese Room, le jeu est totalement différent de sa première version et les fans le voient arriver avec beaucoup de réserves. Sera-t-il aussi mythique que son aîné ? Verdict en 2025.

La réception par les fans est extrêmement tiède, pour ne pas dire négative. Beaucoup estiment que Bloodlines 2 n’a de Bloodlines que le nom. Sans le ton et l’humour du premier jeu, ce second cru ne sera qu’un autre jeu sur Vampire la Mascarade. Bloodlines 2 doit sortir lors de la première moitié de 2025. À voir s’il marquera autant que son aîné.

Mais quoi qu’il arrive, une chose restera immuable : Bloodlines demeure aujourd’hui un jeu à l’aura gigantesque, à l’héritage énorme et profondément révéré par ses fans. Modèle inspirateur pour beaucoup, il concrétise au final le rêve du studio : révolutionner le genre du RPG.

Après les terribles épreuves subies par Troika Games, ce constat résonne comme une victoire pour Leonard Boyarsky :

Voir ce que les gens font aujourd’hui avec le jeu ou parler des aspects qu’ils ont aimés, ça me rend toujours heureux. Ça me rappelle qu’au final nos efforts n’auront pas été complètement vains.